L’autoroute s’efface tranquillement pour laisser place aux chemins de campagne à mesure que l’on s’éloigne de Dublin. Traverser le pays d’est en ouest ne prend guère de temps. Moins de 200 kilomètres séparent la mer d’Irlande des vagues déferlantes de l’océan Atlantique. Malgré sa petite taille, l’Irlande a tout d’une vraie carte postale.

La côte ouest irlandaise connaît un gain de popularité ces dernières années grâce à la spectaculaire Wild Atlantic Way. Cette route touristique longue de plus de 2500 kilomètres longe la côte, de Malin Head – le point le plus au nord du pays – à Kinsale, au sud. Les falaises de Moher, la vibrante Galway et ce havre de paix qu’est la région de West Cork ne sont que des avant-goûts de ce que ce coin d’Irlande a à offrir. Et il y a Sligo, 19 000 âmes, qui jouit d’une réputation internationale grâce à la Wild Atlantic Way et à ses spots de surf de classe mondiale. 

La route serpente à travers collines et vallées verdoyantes. La frontière entre l’Irlande et l’Irlande du Nord traverse la région. Tandis que la route danse entre les deux pays, il est presque impossible de savoir où l’on est, si ce n’est des boîtes postales qui passent du vert au rouge, et des kilomètres qui laissent la place aux miles. 

Sligo

Les nuages sont bas alors que j’arrive à Sligo, si bas qu’on semble presque pouvoir les toucher. La matinée est sombre et l’atmosphère, lourde. Le soleil peine à s’imposer dans le ciel gris. La ville de Sligo est là, sous une forme ou une autre, depuis l’âge du Bronze. En gaélique irlandais, son nom signifie “ là où il y a des coquillages”. Si c’est ce qui a attiré les premiers arrivants, la ville est rapidement devenue un port important dans la région. Elle s’est tellement développée qu’elle a été inscrite sur une carte de l’Irlande dessinée par le célèbre géographe grec Ptolémée en 140 de notre ère. Depuis sa toute première colonisation, Sligo et ses habitants font partie intégrante de l’environnement de cette région d’Irlande.

C’est la rivière Garavogue qui traverse la ville en deux, et qui relie celle-ci à la mer. Sur la rive sud se trouve le célèbre Shoot The Crows, un pub irlandais tout ce qu’il y a de plus typique. Quand le pub a ouvert ses portes pour la première fois, sous un nom différent, l’agriculture était l’activité dominante dans la région. Les corneilles, qui s’attaquaient aux récoltes, étaient à l’époque un problème de taille. Une fois par semaine, on donnait aux habitants une prime pour chaque corneille qu’ils parvenaient à tuer. Mais se faire payer à la fin de la semaine n’était pas suffisant pour les paysans de Sligo. Difficile en effet de se payer un verre de whiskey ou une pinte le reste du temps… Le propriétaire du pub a ainsi décidé d’accepter les corneilles mortes en guise de paiement, pour aller ensuite lui-même réclamer la prime. D’où le nouveau nom du pub.

Ici, pas de télé. Que le chuchotement de la musique et le joyeux murmure des conversations. Le carrelage froid ne dérange personne avec le feu qui crépite doucement dans l’âtre. Avec son ambiance conviviale, le pub a toujours été une escale bienvenue pour se réchauffer. Et pour oublier, le temps d’une pinte, le froid et l’humidité qui pénètrent les os lors des longs mois d’hiver.

En bordure de la ville trône Benbulben. Dominant le paysage, cette montagne sortie de nulle part offre un contraste impressionnant avec le calme plat de la région. Ses bordures semblent avoir été érodées, et on aperçoit de larges empreintes sur ses flancs, comme des marques de griffes. Presque verticale, elle projette son ombre sur les villages environnants, et protège les hommes des impétueux vents du nord. 

Des bouts de ciel bleu commencent à se montrer au milieu des nuages, illuminant la vallée. Des moutons paissent librement au pied de la montagne. Chaque mouton est marqué d’un signe différent ressemblant à un hiéroglyphe, une indication de son propriétaire. Certains portent ainsi un point rouge sur la hanche, d’autre une ligne bleue sur la colonne vertébrale. 

Benbulben est constituée de la même matière qui a donné son nom à la ville de Sligo: des coquillages. Des couches de calcaire et de sédiments se sont déposées là pendant l’une des périodes glaciaires. Vieilles de plus de 320 millions d’années, ces roches se sont soulevées du fond marin pour devenir la montagne qui veille aujourd’hui sur cette sauvage région d’Irlande. Benbulben a depuis toujours joué un rôle de premier plan dans l’histoire irlandaise. La mythologie celtique fait état de batailles sanglantes et de parties de chasse qui s’y seraient déroulées. Deux personnages de légende, Diarmuid et Gráinne, reposeraient sous la montagne. Plus récemment, Benbulben a inspiré les travaux du célèbre poète irlandais WB Yeats. Celui-ci est même enterré au cimetière de Drumcliff, juste en face de la montagne. La région est aujourd’hui connue sous le nom de Yeats Country.

L’Irlande entretient une relation étroite avec la mer, et c’est encore plus vrai ici. L’océan Atlantique est un animal sauvage. Il s’étend calmement sur les berges, miroitant sous le soleil et flirtant avec le sable. Mais les jours de tempête, lorsqu’il se réveille et que ses vagues se fracassent avec éclat sur les falaises escarpées de la côte, il montre à tous qui domine réellement le paysage. Les gens de Sligo et de sa voisine Mullaghmore le savent bien. 

Cette région est constellée de villages de pêcheurs et de cités portuaires depuis des centaines d’années. On y venait d’Afrique et d’Europe continentale pour commercer avec les gens d’ici. Le village endormi de Mullaghmore est toujours doté d’un port en activité, avec des pêcheurs s’aventurant tous les jours en haute mer. C’est grâce à une expérience riche de plusieurs générations que ces marins ont su maîtriser les flots déchaînés de l’Atlantique. Et beaucoup ont péri dans ces eaux tumultueuses.

En 1588, la tristement célèbre Invincible Armada s’approche des côtes anglaises dans le but d’envahir le pays. Après une longue bataille, la flotte espagnole est défaite et tente de s’échapper le long de la côte ouest irlandaise. Dans une forme terrible ce jour-là, l’Atlantique envoie trois de leurs navires se fracasser contre les rochers, tout près de Mullaghmore Head. Le reste appartient à l’histoire.

Aujourd’hui, la région de Mullaghmore Head est connue pour ses spots de surf et pour avoir certaines des plus hautes vagues au monde. Il faut vraiment vouloir se jeter à l’eau. Ici, rien à voir avec Bali. Ou Byron Bay. C’est l’Atlantique. Pour vouloir affronter ces eaux mythiques, il est absolument nécessaire de porter une combinaison épaisse, peu importe le temps de l’année. Avant même de s’élancer dans les vagues, le vent a déjà fait pleurer nos yeux et rougir nos joues. Et puis une fois dans l’eau, il faut encore compter avec le froid qui nous paralyse lentement. En plongeant, la surface verdâtre laisse rapidement la place au noir le plus complet. 

Monstrueuses, puissantes et déchaînées. Les vagues de la côte sont dangereuses, et Mullaghmore Head est réservée aux surfeurs de classe mondiale. Ne s’aventure pas ici qui le veut! Avec des vagues de plus de 30 pieds, c’est plus qu’une simple séance de surf. C’est une façon de survivre à une nature implacable. Et de prouver que l’on peut connaître un sort différent que celui des marins de l’Invincible Armada. 

La côte irlandaise montre les cicatrices d’une vie avec un compagnon comme l’Atlantique. Le calcaire ne peut rivaliser avec la fureur des vagues éternelles. Les falaises finissent toujours par succomber et à s’abîmer dans la mer. Et le cycle recommence. 

Les habitants de Sligo ont appris à vivre avec la nature sauvage qui les entoure. Elle fait partie intégrante de leur identité depuis des générations. Benbulben leur offre une protection inestimable contre les vents humides. La nature environnante et les animaux déterminent leur mode de vie et leur culture. Et l’Atlantique les a rendus forts, ingénieux, en plus d’avoir aidé à populariser ce petit bout d’Irlande rurale sur la scène internationale. 

(traduit de l’anglais par Stéphanie Major)


Pour mon aventure à Sligo, j’ai porté une coquille Beta AR d’Arc’teryx, qui m’a aidé à rester bien au sec avec sa conception en GORE-TEX Pro. En dessous, mon manteau Nano Puff de Patagonia était suffisamment chaud pour les froides matinées, et il se rangeait facilement quand je n’en avais pas besoin

Une paire de pantalons polyvalents comme les pantalons Motions de The North Face est vraiment l’idéal pour un voyage comme celui-ci. Durables et assez résistants pour une randonnée, ces pantalons sont aussi un must pour finir la soirée au pub. J’ai aussi emporté une paire de Blundstone 1478, qui conviennent à presque tous les environnements.